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    Danielle Vallet Kleiner
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Danielle Vallet Kleiner


De l’œuvre de Danielle Vallet Kleiner, toute tournée vers la conscience biographique du document photographique, sa qualité de signe anthropologique et politique, on retient ici pour leur valeur provocante les deux films : Escape from New York(1997-2001) et Le Jardin qui n’existe pas(2001-2005), respectivement installés sur deux et trois écrans et tenant de là une valeur propre de texte introuvable.
Car en regard des nombreuses photos réalisées par leur auteur (pour beaucoup autant de marques de ses films-voyages), qui s’exposent, ou d’autres de ses films, montrés sur moniteurs ou à l’occasion simplement projetés dans des espaces d’art (par exemple Chemins qui ne mènent nulle part (1991-2007), ses deux films conçus sous forme de dyptique et de tryptique se projettent seulement, et spectaculairement. Introuvables, ces films le sont devenus à mes yeux d’autant que je n’ai pu les voir qu’une fois, à l’occasion de la projection organisée au Centre Pompidou (par Philippe-Alain Michaud et Catherine David) les 20 et 21 octobre 2006. Et que, comme toutes les oeuvres telles, leur projection n’a de sens que dans les conditions
permettant de les présenter selon le dispositif dont elles tiennent leur effet.

Du premier de ces films violents et captivants, catalysés, comme tout dans cette oeuvre, par l’expérience obstinée du décentrement et du voyage, son auteur a pu écrire : “C’est un film qui opère par morcelages perpétuellement ré-enchainés dans des lieux non communicants et dans un temps non chronologique, où les nappes de passé sont démultipliées grâce à la lecture simultanée de deux projections du film dont l’une est le déploiement inversé des séquences de l’autre. Le film suppose une construction rigoureusement symétrique et que chaque séquence puisse s’enchaîner à la suivante aussi bien par son commencement (premier plan) que par sa fin (dernier plan). Un film en quelque sorte sans fin ni commencement où la bande son unique agit comme une image autonome, en induisant une linéarité toujours changeante.”4
Escape from New York comptant ainsi onze séquences, cela suppose que la sixième, dans ce double déroulement inversé, est la même, identiquement sur les deux écrans. Cette séquence devient ainsi le seul moment temporairement rassurant d’un double défilement d’images dont elle fait d’autant plus ressortir le caractère affolant. Car la mémoire se trouve directement prise à parti par ce processus, accentué du fait que les deux images, se touchant bord à bord, sont d’autant plus perçues comme un seul corps. Toute image, inscrite une fois sur un des deux écrans, reviendra plus tard dans l’autre, agissant comme un souvenir, mais d’autant plus immaîtrisable qu’on ne pourra jamais savoir à quel moment du film et jointe à quelle autre image on l’aura déjà perçue. Ajoutons à cela que “les personnages absents à l’image disent le même texte en deux langues différentes (dont l’un est la traduction de l’autre).”5


4 Danielle Vallet Kleiner, “Projets/Projections. La description d’un processus infini”, conférence à l'École nationale supérieure d’archi- tecture de Nancy, 2000

5 Danielle Vallet Kleiner, sur Escape from New York, 1999.




Le film s’offre ainsi comme une mimétique reconstruite, une hypothèse formalisée du bloc-mémoire même dont tout film, comme l’avait bien vu Thierry Kuntzel, est en lui- même déjà l’indice, dans sa physicalité de film-pellicule comme dans sa réalité fuyante de film-projection.

Différemment va Le jardin qui n’existe pas…, dont un jardin chinois forme le modèle utopique, le centre tournant d’un voyage circulaire autour de la Mer Jaune,
ponctué par quelques villes, Nagazaki, Haerbin, Pekin, Vladivostok. La méthode, en appelant aussi au creusement d’une mémoire, glissant de l’auteur au spectateur,
acharnée continûment à se construire et à se moduler, tient ici à une variation dans l’apparition des écrans, tour à tour s’emplissant et se vidant, sans cesse oscillant de une à trois images. On voit comment, d’un film à l’autre, s’accentue le paradoxe d’un texte du film doublement introuvable, tant par le caractère d’exception tenant à la réalité matérielle de chacune des projections que par la difficulté propre d’en arracher, à des fins de citation ou de référence, quelque instant, plus que jamais roulé dans le flot incessant sur lequel on pourrait espérer le prélever.



Raymond Bellour 2009-
« Images contemporaines » sous la direction de Luc Vancheri -Ed. Aléas Cinéma