Basserode ou le théorème de la toupie.
Un arbre dans un paysage cadré à la manière d’un portrait (un rectangle horizontal légèrement étiré). L’arbre est majestueux sans être spectaculaire ou singulier. Le sujet est maintenu à distance : une vision stable et ordonnée - un appareil sur pied, 8 millions de pixels pour le piqué.
Afin de “travailler” chacune de ces images qui constituent un ensemble fragmenté, Basserode a mis au point un algorithme qui modifie la géométrie du sujet. Une énième version de l’art de la distorsion (Holbein, Kertesz ou Bury …) ? Non. Il s’agit, en fait, selon les mots de l’auteur de cerner des “espaces curieux”, de faire apparaître ces dimensions enroulées sur elles-mêmes qu’étudient certains physiciens avec lesquels il s’entretient. La déformation rend sensible la structure de l’espace dans laquelle elle s’opère. Le travail consiste aussi à construire des plans et des cadres visuels qui portent en eux leur propre dissolution et leur propre négation.
Ces images sont apparentées aux toupies que l’artiste réalise. Elles semblent découler d’un même “théorème” : ce qui semble immobile est en mouvement et ce qui paraît se mouvoir est au repos. Le corollaire : l’arbre ne cache pas que la forêt…
Il est rare qu’une photographie réussisse concrètement et mentalement à troubler l’espace. Plus rare encore qu’une “beauté cadrée” laisse surgir l’indiscernable que le regard et la pensée pressentent. Mais, c’est bien le cas ici.
David Rosenberg
A l'occasion de l'exposition Brouillon de l'espace à la galerie Martine et Thibault de la Châtre, 2008.
Depuis le début des années quatre-vingt, Basserode remplit des carnets de notes, de croquis, exécute des sculptures, des photographies, des environnements, des installations. Son œuvre multiforme porte essentiellement sur le nomadisme, la mémoire, le langage et le temps (Mémoire mobile vivante, 1989 ; Hécatée/Bateau-mémoire, 1995-1997). Ses recherches sémantiques font appel tant à la littérature qu’à la musique ou aux mathématiques.
Il met en forme choses et êtres hybrides : clavecins à quelques touches (Partition, 1996) ; arbres (La Forêt qui court, 1994-1998, château du Rivau, Léméré). Pour ses constructions, il utilise le plus souvent des éléments naturels comme le bois, la terre, les graines, les os, les œufs, l’huile, la cire ou la paraffine, comme par exemple pour un grand carrousel qui se veut un espace critique sur l’apport des connaissances entre l’Orient et l’Occident (Quel est l’imbécile qui a quitté le siècle des Lumières sans éteindre l’interrupteur ?, 2000). Il imagine également des performances (Conversations critiques, 1998). En 2003, il réalise Les Lunes noires, un environnement constitué de vingt-neuf ampoules recouvertes de peinture noire, qui en se craquelant, révèlent peu à peu lumière et chaleur.
Depuis 1994, son travail se complète d’une collaboration avec des écrivains, des poètes, des musiciens et des scientifiques. De 1999 à 2003, il travaille sur les rapports entre l’art et la science et sur la notion des non-temps, sous l’égide du London Institute et avec la participation du CERN en recherche fondamentale (Signature de l’invisible). En 2003, il entreprend un nouveau modèle de recherche à Stanford Université, Philadelphie. En mai 2005, il présente les Distorsions, des photographies numériques à la galerie Martine et Thibault de la Châtre à Paris.
Jean-Louis Poitevin
A l'occasion de l'exposition Distorsions à la galerie Martine et Thibault de la Châtre, 2005.